Si certains se posent encore la question de la pertinence de créer un nouveau réseau de diffusion numérique dédié pour la radio alors qu’Internet existe et se développe, au Syndicat National des Radios Libres (SNRL) nous défendons une conviction forte : ni d’un point de vue économique, ni d’un point de vue éthique, le réseau Internet ne peut être utilisé par la radio comme vecteur principal de diffusion.
En effet la distribution par voie IP impose d’accepter la logique d’un modèle payant (abonnement pour l’auditeur pour accéder à internet d’une part et diffusion à coût variable pour l’éditeur qui dépend alors de l’opérateur du réseau d’autre part), alors que le modèle hertzien est gratuit pour l’auditeur et maîtrisé par la radio qui exploite à coût fixe une fréquence attribuée gratuitement par le CSA. Le coût pour accéder au média radio est faible, un récepteur radio peut s’acheter à partir de 20 €, contre 150 € pour un téléviseur ou 200 € pour une tablette, auquel il faut ajouter l’abonnement à Internet. La RNT comme la FM, garantissent par ailleurs une écoute gratuite, anonyme et permettent de créer une connexion directe et fiable entre la radio et ses auditeurs.
Côté éthique, Internet donne l’illusion d’appartenir à tous, alors que le réseau qui permet de s’y connecter est privé et contrôlé par des acteurs qui se positionnent progressivement sur toute la chaine de valeurs en tant qu’agrégateur de contenus (information, musique, cinéma, télévision et radio à la carte s’appuyant sur les données personnelles de l’utilisateur...). La volonté de ces acteurs est de proposer des services addictifs et de prendre une place prépondérante dans la vie de chaque citoyen en connaissant ses goûts, ses opinions, sa géolocalisation,… laissant apparaître des dérives qui pèseront à la fois sur l’indépendance des médias et sur le droit de tout à chacun de maîtriser ses données personnelles3. La tentation du Gouvernement de vendre à prix d’or la ressource hertzienne aux opérateurs télécoms est grande (les recettes attendues pour la mise aux enchères des 700MHz est de 3 milliards d’euros4), laissera-t-on ces acteurs privés contrôler la distribution de la totalité des médias5 ?
La Radio Numérique Terrestre est l’évolution technologique qui doit être privilégiée et engagée pour préserver un modèle équitable et diversifié tout en permettant l’accès à de nouveaux outils et services innovants. Comme la télévision l’a déjà fait, la radio doit engager dès à présent sa mutation en s’appuyant sur des technologies complémentaires à la FM, à défaut de connaître très prochainement les mêmes difficultés que rencontre aujourd’hui la télévision ou la presse.
L'auditeur et son évolution
Plus de 8 français sur 10 (42,3 millions d’individus) écoutent la radio durant 2h56 chaque jour (source Médiamétrie 2012), ils possèdent en moyenne 6 récepteurs par foyer. La radio est principalement écoutée au domicile, en voiture et au travail. Le lieu d’écoute diffère selon la nature du programme (les stations musicales et locales génèrent plus d’audience en voiture, à l’inverse les stations généralistes et thématiques sont plus écoutées au domicile).
La radio est le média auquel les français font le plus confiance et ce, pour la 21ème année consécutive selon le Baromètre TNS SOFRES mesurant la confiance des français dans les médias. Les informations apparaissent comme l’une des principales motivations d’écoute, juste derrière la musique. L’intérêt pour les services (trafic, météo...) ainsi que le caractère divertissant du média sont également soulignés. Sa particularité est d’être écoutée tout au long de la journée en suivant le rythme de vie de l’individu, elle est aussi et avant tout un média nomade. La radio touche toutes les générations. Au sein d’un univers pluri-média, elle est très complémentaire de la télévision. Très tôt présente au sein des véhicules (80% des Français possèdent un autoradio), la radio a développé son nomadisme avec l’explosion des baladeurs puis des smartphones. Il est possible d’écouter un programme en direct ou à la demande grâce au podcast.
Même si l’écoute de la radio par Internet progresse, elle reste encore marginale par rapport à la FM. Le Royaume-Uni qui a démarré la RNT au milieu des années 90 est précurseur dans ce domaine, les chiffres6 le prouvent. Son approche du média radio à l’ère numérique donne les orientations de ce que pourrait être le paysage audiovisuel de demain, où Radios et Télévisions cohabitent7. L’intégration systématique de récepteurs de contenus audiovisuels broadcastés dans les terminaux mobiles permettra de mieux toucher les nouvelles générations, à la seule condition que les pouvoirs publics arbitrent sur les restrictions technologiques imposées par les fabricants de terminaux (Apple bloque par exemple l’utilisation du récepteur FM présent dans l’iPhone en vue de promouvoir ses propres services : iTunes et iRadio).
Le mouvement technologique et les évolutions prévues autour de la consommation nomade et sédentaire des médias, leur imposent de cohabiter sur un même terminal. Cette (r)évolution est une aubaine pour les médias traditionnels et en particulier pour la radio car la faible consommation des technologies permettant la réception de contenu audio intéresse fortement les fabricants de terminaux mobiles qui voient là une opportunité de proposer de manière native (sans nécessairement avoir besoin d’un accès à Internet) des services répondant aux attentes des utilisateurs.
De plus, l’évolution des usages entraine inexorablement la surcharge des réseaux IP mobile qui permet aux opérateurs télécoms de justifier de leur voracité pour s’accaparer toute la ressource hertzienne disponible en limitant toutefois la consommation des données en 3G, 4G8,… (Un « Fair Use » de 5Go/mois pourrait permettre d’écouter la radio en 128kb/s pendant 2h48 par jour, mais il faudrait sacrifier les autres usages). Comme nous l’avons toujours défendu les réseaux mobiles sont dans l’incapacité même à moyen terme de se substituer à la radiodiffusion hertzienne et de supporter l’écoute globale de la radio au quotidien : d’ici 5 ans seulement 35% des abonnés bénéficieront de la 4G en Europe selon les projections d'Ericsson9.
La production et la diffusion des contenus culturels locaux et leurs évolutions
Ces dernières années les éditeurs de radio se sont fortement mobilisés autour des technologies et de la présence du média sur l’ensemble des plate-formes disponibles (site Internet, box des opérateurs, application mobile,...) au détriment de l’investissement dans la production des programmes, alors que le défi de l’enrichissement des contenus se fait de plus en plus sentir notamment sur le plan local.
Pour les radios associatives, la FM a induit une gestion individualisée de la diffusion, chaque radio, ou presque, possédant son propre émetteur. L’arrivée du numérique favorise désormais la mutualisation entre radios locales et permet d’accélérer leur développement et d’améliorer leur impact au cœur des régions.
Contrairement aux radios commerciales qui doivent satisfaire à une demande de forte rentabilité, les radios associatives se démarquent en favorisant l’information de proximité, la mise en avant des talents locaux et l’implication de bénévoles d’un bout à l’autre de la chaîne : de la production à la diffusion.
Les démarches engagées par les radios associatives nantaises depuis 2006 sont une bonne illustration de la plus-value apportée par la mutualisation : rationalisation des coûts de diffusion, meilleure couverture, et création de solutions technologiques diverses : plate-forme régionale d’échange de contenu, application mobile,… Ces radios représentent aujourd'hui le premier média participatif local.
Pour construire son avenir, la radio a besoin d'un régulateur fort !
Après les annonces de rapprochement entre l'autorité de régulation des télécoms et celle de l'audiovisuel, l’ARCEP et le CSA, le rapport Lescure préconise qu’Hadopi intègre également ce nouvel ensemble. Afin d’anticiper la remise en cause de la neutralité du net et que les décisions du CSA ne soient pas considérées comme des actes de censure, le futur régulateur aura la lourde tâche de définir des règles claires et acceptables par tous.
La France a rappelé récemment son attachement à l’exception culturelle, reste à espérer que le Gouvernement donnera la priorité aux contenus plutôt qu’au contenant et favorisera la mise en place d’un modèle équilibré entre broadcast et broadband afin de laisser le choix entre diversité, gratuité et anonymat d'un côté ou profilage et écoute individualisée de l'autre…
Comme la télévision, la radio doit se poser des questions concernant son indépendance face aux acteurs d’Internet. Des mutualisations à l’échelle régionale entre presse, télévision et radio locale sont possibles afin de mettre en œuvre des services de distribution innovant... La radio doit créer des relais de croissance autour de services enrichis, interactifs, lui permettant de reposer sur un modèle économique innovant autour des services data, de sponsoring et de partenariat.
Notre souhait est de poursuivre nos expérimentations à travers les toutes dernières technologies disponibles, d'inventer un nouveau modèle interactif permis par la convergence du broadcast et du broadband. Cette initiative ouvre une nouvelle ère intelligente et solidaire, celle d’une union des médias traditionnels locaux afin qu’ils prennent ensemble l’avenir de leur distribution en main afin de se développer et qu’ils soient plus forts sur l’ensemble des supports tout en continuant à se différencier par leurs contenus. Les intérêts économiques, culturels, démocratiques, sociaux et technologiques doivent converger pour préserver une diversité médiatique locale. Les possibilités techniques offertes par ces nouvelles technologies, permettront de créer un nouveau réseau de distribution indépendant et régional.
L’avenir de la radio, tel qu’il est défendu par le Syndicat National des Radios Libres, permet d'assurer une diffusion à coût fixe, de garantir une certaine indépendance face aux opérateurs télécoms, de préserver la présence des radios locales de proximité, de maintenir un espace public hertzien répondant à l’intérêt général et de pérenniser les systèmes vertueux de financement qui permettent de rémunérer les journalistes, les techniciens, les artistes...
Cette nouvelle exception culturelle doit trouver de nouveaux modes de financement, comme avait réussi à le faire la Loi de 86 en son temps, garantissant à la fois le pluralisme et la diversité des acteurs sur le plan local comme national et leur permettant aussi d'assumer une nécessaire capacité d'innovation.
Après sa révolution,… Internet entame désormais un nouveau virage qui pourrait être fatal pour le secteur de l'audiovisuel. La période de structuration législative et réglementaire dans laquelle nous entrons est déterminante, l’ensemble des acteurs ayant participé au succès de ce nouvel espace commun souhaite à présent la mise en place de règles claires. A défaut d’équilibre et de consensus, Internet sera exclusivement entre les mains des GAFA (Google / Apple / Facebook / Amazon) et de ceux qui maîtrisent les réseaux et les terminaux.
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