Syndicat National des Radios Libres
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L'Education aux Médias est-elle une marchandise ?


Vendredi 21 Janvier 2022 - 13:49


Emmanuel Boutterin, le président du Syndicat National des Radios Libres , se dit choqué. Depuis quelques mois, l’Éducation aux Médias et à l’Information (EMI) est considérée par de nouveaux acteurs comme un marché concurrentiel. L'éducation populaire devient un eldorado pour des aventuriers sans foi, des startupper sans loi, et pour quelques "ménages" de journalistes mainstream. Cela remet en question les missions des  radios associatives qui ont l'expérience de l'éducation populaire depuis quarante ans.
 
La colère gronde au SNRL !

Pour Emmanuel Boutterin, à la tête du syndicat majoritaire des radios locales : "L’Education aux Médias et à l’Information devient un marché concurrentiel. Cela se fait sans normes et avec une commande publique locale, ou défaillante et c’est grave. L'éducation populaire et les missions de communication sociale de proximité devient un marché comme un autre. De nouveaux acteurs, issus des médias mainstream, font tout, y compris raconter des balivernes, pour pénétrer ce marché"  explique-t-il. Il y a danger : une pensée unique et une pratique restrictive de l'EMI issue du corporatisme, de l’élitisme et du parisianisme. "L'Education aux Médias est l'ADN des radios libres, c'est notre travail depuis quarante ans et certains se découvrent tout a coup une fibre éducative et sociale depuis les actes criminels visant les journalistes et les crimes de masse de 2015. Parce qu'ils ont quelque chose a vendre".
 
Le Syndicat National des Radios Libres constate que les modalités de financement local  des associations évoluent de manière significative et notamment mets en concurrence des prestataires de service sur telle ou telle mission, et aujourd'hui sur l'EMI. On constate le développement des modèles organisationnels hybrides mêlant entreprises à but lucratif et associations. "Cette situation nous invite à la fois à être ferme sur nos fondamentaux, et à faire évoluer nos modalités d’intervention pour mener à bien nos missions et notre cœur de métier" selon le président du SNRL.
 
Parfois déconsidérées comme des groupes de passionnés pour ne pas dire d’amateurs, les radios associatives, qui se sont professionnalisées depuis la fin des années 80, avec près de trois mille salarié.es, occupent  une place essentielle dans la construction, le maintien du lien social et l'éducation populaire sur les territoires, notamment auprès des écoles, des collèges et des lycées. Seulement, elles ne peuvent pas compter sur la publicité pour financer leur fonctionnement, contrairement aux stations commerciale​s et de service public. Il leur est interdit de franchir un seuil de publicité. "En contrepartie, il y a un financement public qui nous oblige », explique Emmanuel Boutterin. « Cela correspond à la promotion de la diversité culturelle et patrimoniale sur le territoire, la production d'émissions sur les bonnes pratiques en matière d’environnement, de santé, la lutte contre les discriminations et... l'éducation au médias et a la citoyenneté".

 

Les radios libres s’engagent sur le front de l’éducation populaire

Avec la loi de 1986, le pluralisme des éditeurs est garanti et 680 radios libres associatives quadrillent le territoire français. Toutes ces stations assurent une communication sociale de proximité avec les auditrices et les auditeurs. "Les animateurs technico-réalisateurs, après les formations que dispensent les centres, tels l'ORCEL et la SKOL notamment, interviennent dans les collèges et lycées, auprès des organismes péri-scolaires et des associations sportives afin de mieux sensibiliser aux médias et à l’information. Nous avons l’habitude de travailler avec les équipes éducatives sur les questions de l’Éducation aux Médias et à l’Information, qui comprend également la compréhension des valeurs e la République, la capacité de résistance aux fake news, la lutte contre la radicalité, les stéréotypes et les anathèmes. Cela fait bien longtemps que nous le faisons. C'est l'expérience de nos radios sur le terrain », explique Emmanuel Boutterin.
 
Depuis 2008, près de trois cent radios associatives partout en France et outre-mer, sont  inscrites dans le cadre de la semaine de la presse et des médias dans l’école. Les radios associatives qui ont l’habitude de transporter leur matériel dans les établissements ou de faire venir les classes dans leur studio. "Aujourd’hui, une radio musicale et publicitaire ou une station France Bleu, prétend faire la même chose ? Une radio publique ? Cela fait sourire !  Notre travail, c'est l'analyse du discours et l’apprentissage de l’expression, avec les enseignants, et de favoriser le passage de la production d’une classe à l’antenne. Ce que nous faisons nous semble tellement naturel que nous n’avons plus besoin d’en parler et de le promouvoir. Par conséquent, nous laissons le terrain à des gens qui, aujourd’hui, peuvent faire faussement la promotion de ce type d’activités sur les territoires. Nous avons baissé la garde.  Pour les radios, l'alternative est la suivante : soit nous entrons  dans une situation de concurrence frontale, soit les pouvoirs publics et les collectivités territoriales prennent conscience que l'EMI n'est pas un travail de bateleurs de foire et de boutiquiers"
 
Pour les radios associatives, il ne s’agit pas de faire la promotion de leur station à travers ces ateliers et interventions, mais de sensibiliser à la qualité de l’information, à la façon de la recevoir, de développer un esprit critique. Il s’agit aussi de savoir identifier une radio locale, comment se différencient-elles les unes des autre. Les subventions qui leur sont accordées permettent de préserver la qualité de cette forme d’éveil au monde, tout en entretenant du lien social.  Il s’agit de de donner au jeune public, et au moins jeune, la capacité de questionner l'uniformisation de la production. "Apprendre le simple fait qu'il est utile de choisir son média en connaissance de cause, de choisir sa radio, qu'il existe des radios de découverte, libres de pouvoir programmer des talents nouveaux  et d'informer localement, est le principe premier de l'éducation aux médias et a l'information", tel est le combat du Syndicat des Radios Libres.

Thomas Roland